Page 7 - Adec-Bulletin 04-2005
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Bulletin de l’Association “Les Amis de Comiac” (ADEC)                                                      Numéro 4 -  2005 -  Page 8


             chons.  On  est  resté  dedans  4  jours  sans  se  mangeant  avec  une  cuillère.  Sans  four-
             pouvoir  s’asseoir  ou  se  coucher.  Ah  quel  chette car il est clair que nous ne pourrions
             triste voyage nous avons traversé.               en attraper miette.

             Couché, le deuxième jour à Noyon, le troi-       Matin et soir, il y avait une louche de café.
             sième  à  Saunis  et  à  La  Fère.  De  La  Fère  On ne savait pas avec quoi il était fait. Au
             nous  sommes  passés  à  Saint  Quentin,  bout  de  2  mois,  il  a  été  remplacé,  le  soir,
             Cambrai,  Belgique  (jolie  puissance),  Abre-   par du cacao ou du bouillon composé d’éplu-
             ville,  Goustroux,  Charleroi  (beau),  Mous-    chures et d’un grande quantité d’eau, avec
             trier,  Namur,  Vervier  (ville  industrielle),  un goût dégoûtant.
             Dolhain, Herbestal. Nous sommes arrivés à
             9 heures du soir à la gare de Guedlinburg.  Après  les  huttes  viennent  les  baraque-
             Descendus  de  suite,  on  nous  a  fait  former  ments avec plus d’espace et d’agrément. On
             (les rangs) par  4.  Nous  avions  beaucoup  de  a de l’air tant que l’on veut. On se couche
             monde à notre manifestation. On aurait dit  comme  on  peut,  tout  le  monde  n’a  pas  de
             qu’avec ces 800 prisonniers, les allemands  paillasse. Le voisin prête un peu son lit. En
             avaient  pris  la  France  entière.  A  mesure  somme on a un peu de tout, des paillasses,
             que  nous  défilions,  femmes,  enfants  et  des  couvertures  avec  des  poux,  des  cuillè-
             vieillards chantaient et criaient comme des  res, des brocs, des serviettes.
             fous. Les vieux avec leurs cannes nous fai-
             saient  des  menaces.  Et  surtout  les  petits  Il y avait aussi pour nous des chiens poli-
             gosses avec leurs mains et leurs dents, on  ciers  et  des  boches  pour  nous  garder.  S’il
             aurait dit une nuée de singes.                   nous prend la fantaisie de fumer ou de ne
                                                              pas  uriner  au  cabinet,  de  cracher  ou  de
             Enfin  après  un  interminable  voyage,  nous  chanter  en  cœur,  alors  pour  punition,  ils
             arrivons  au  triste  parcage  où  nous  atten-  nous  attachent  au  poteau  de torture,  avec
             daient  des  piètres  baraques  qui  ressem-     une  corde,  pendant  2  heures,  pieds  et
             blaient à des huttes de tribus canaques.         poings liés, pour en sortir avec les membres
                                                              paralysés.
             Dans un camp à peine ébauché, de partout
             entouré  de  fil  de  fer  barbelé,  nous  avions  Pour  aller  en  corvée,  s’était  tout  proche,
             pour coucher de la paille humide et le jour,  300  mètres  à  faire.  C’était  une  route  que
             un soleil pâle et timide. La pluie et le vent  l’on a fait, de nos mains, tous les jours, le
             s’engouffraient dans la baraque où il fallait  soir et le matin, par des corvées d’hommes
             s’entasser.                                      désignés dans toutes les baraques du camp.

             Les baraques étaient faites avec des plan-       Notre linge on l’avait sur le dos, ce qui nous
             ches mal jointes où l’on avait tout épargné,  faisait pas le bagage bien gros.
             même  les  pointes,  croyant  avoir  affaire  à
             des  hommes  dans  le  désespoir,  voulant  Mais  de  toutes  ces  choses  là  rien  ne  nous
             nous  infliger  la  torture  de  la  faim.  Mais  émeut.  Ce  que  nous  demandons  et  ce  que
             courageusement  nous  avons  trompé  leur  chacun veut, c’est le moment de dire adieu,
             espoir,  en  leur  montrant  que  malgré  leur  à leurs revues, à leurs corvées, à leurs mots
             mince boule de pain, leur but était loin d’ê- creux. C’est pouvoir sortir de cette maudite
             tre atteint.                                     terre  d’Allemagne  qui  est  pour  nous  un
                                                              cruel bagne. Et après la victoire proche et
             A midi, il y avait une soupe, dite rata, de  certaine, rompre notre lourde chaîne.
             légumes et de viande, choux-rave, carottes,
             tous  mêlés,  comme  chez  nous  pour  les  co-  Enfin sonnera l’heure de la délivrance et la
             chons, dans des plats servant d’assiettes et  fin de notre malheur qui permettra de re-
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